„L’armée européenne“: l’étape manquée de l’intégration 1952-1954

1955 - La restauration et la réforme après la Seconde Guerre mondiale

Après la Seconde Guerre mondiale et les années de dictature nazie, les deux États allemands succédant au IIIe Reich réorganisent l’enseignement scolaire en recourant aux concepts de la République de Weimar. Les anciens débats de politique de l’éducation des années 1920 refont ce faisant surface, auxquels viennent s’ajouter les exigences posées par les puissances occupantes en matière d’enseignement. Les conceptions se rejoignent tout d’abord dans l’impératif d’une éducation à la démocratie et de l’égalité des chances. C’est précisément la défaillance du système éducatif qui est tenue pour l’une des causes de la dictature, du militarisme et de l’idéologie raciale. Les Alliés s’entendent lors des Accords de Potsdam, en août 1945, sur une complète restructuration du système éducatif.
Les gouvernements militaires adoptent cependant différentes démarches pour mettre en œuvre leurs conceptions de réorganisation de l’éducation. Dans la zone d’occupation soviétique, on amorce rapidement une réforme pédagogique « démocratique antifasciste » et on introduit avec la « loi sur la démocratisation des écoles allemandes » une Grundschule (école primaire) de huit années scolaires commune à tous les élèves. Les élèves passent ensuite dans le secondaire et fréquentent quatre ans l’Oberschule ou trois ans la Berufsschule, école d’enseignement professionnel. Les écoles privées sont interdites, les écoles confessionnelles sont marginalisées. L’enseignement scolaire est placé sous le contrôle central de l’État. Le ministère de l’Éducation populaire, dirigé par Margot Honecker de 1963 jusqu’à la fin du régime de la RDA, veille à ce que les écoles soient de plus en plus mises au service de la restructuration idéologique et économique de la société et de la réalisation d’une conception de l’homme socialiste.
La scolarité obligatoire est prolongée par la « loi sur le développement socialiste de l’enseignement scolaire » de 1959 : au lieu des huit années de Grundschule, la Polytechnische Oberschule (POS) dispense à présent un enseignement général de dix années divisées en trois cycles. A la fin de la huitième classe de la Polytechnische Oberschule, la Erweiterte Oberschule (EOS) mène au baccalauréat en quatre années d’études. D’autres possibilités d’obtenir le baccalauréat existent à côté de l’EOS. La Berufsausbildung mit Abitur (BmA), formation professionnelle avec baccalauréat, acquiert parmi celles-ci une importance majeure. Près d’un tiers des bacheliers suivent cette filière, en particulier les jeunes désireux de poursuivre des études universitaires dans des domaines techniques. L’accès à la Erweiterte Oberschule dépend des résultats scolaires, des aspirations professionnelles, mais aussi de la fiabilité et de l’engagement politiques des élèves et de leurs parents. L’origine sociale constitue un autre critère d’accès. Le pourcentage « d’enfants d’ouvriers et de paysans » accédant à l’EOS est systématiquement majoré par le biais de quotas. Ce système, ainsi qu’un certain nombre de mesures de soutien financier et pédagogique, contribuent à une rapide croissance de la participation à l’éducation. A partir du milieu des années 1960, le pourcentage de bacheliers est cependant ajusté aux besoins de l’économie et est réduit de 18 % à un niveau de 12 % d’une classe d’âge qui se maintiendra jusqu’à la fin de la RDA. Tandis que dans les années 1950 et 1960, le pourcentage de bacheliers est nettement supérieur à celui de la RFA, les chiffres tombent ensuite en raison de la politique restrictive à l’Est et de l’expansion de l’éducation à l’Ouest. Afin de satisfaire aux impératifs de compétence, des écoles et classes spéciales sont créées en RDA à partir de 1965, à l’intérieur du système éducatif standard, avec des options en musique, sport, russe ou mathématiques, qui encouragent les élèves particulièrement doués dans ces domaines.
Les contenus d’enseignement sont centrés sur les sciences naturelles et les techniques, ainsi que sur l’éducation civique et le sport. L’enseignement polytechnique, constitué d’éléments théoriques et pratiques, doit préparer les élèves au monde du travail et de la production. Suivant le modèle soviétique, les objectifs et contenus éducatifs sont tirés de la doctrine marxiste-léniniste canonisée, qui sert de base à l’enseignement dans son ensemble. De concert avec la Freie Deutsche Jugend (« Jeunesse libre allemande »), une organisation rattachée au parti est-allemand SED, l’école inculque cette idéologie aux élèves et réduit progressivement les libertés de pensée et d’action.
Les Alliés occidentaux prévoient également dans leurs zones d’occupation un système éducatif unique d’au moins six années d’études communes, qui doit remplacer le système des höhere Schulen, considéré comme élitaire et autoritaire, et doit apporter aux élèves l’égalité des chances. La gratuité des frais de scolarité et des matériels d’enseignement sert également cet objectif. Les puissances occupantes ne mettent cependant pas toujours l’accent sur les mêmes aspects dans le cadre de leurs réformes. Ainsi, les Américains visent une vaste rééducation scolaire et culturelle à la démocratie. Dans ce contexte, ils mettent en place des cours de réorientation de plusieurs semaines destinés aux enseignants des Volksschulen, auxquels des équipes de rééducation dispensent les formes d’enseignement démocratiques qu’ils devront appliquer. Les Britanniques ne prescrivent pas autant en matière d’éducation, et le gouvernement militaire français mise surtout sur la démocratisation par la transmission de valeurs culturelles dans l’enseignement.
A la différence de la zone d’occupation soviétique, les zones d’occupation occidentales n’ont pas connu de vraies réformes éducatives, à la fois en raison des déficits de conception des réformes et du fait que ces réformes n’ont pu se faire sans le soutien des institutions et responsables politiques allemands. Pour ces derniers, la faillite de l’enseignement n’est pas due à l’endoctrinement autoritaire et idéologique des jeunes par les nazis, mais au manque d’autorité de l’école qui s’en est suivi, la Hitlerjugend ayant sapé l’influence de l’école et des enseignants. C’est pourquoi les responsables politiques conservateurs des zones d’occupation occidentales se prononcent en faveur du rétablissement du système éducatif traditionnel, y compris de la réintroduction des écoles confessionnelles. Les Gymnasien passent dans cette perspective pour les garants du maintien des traditions scolaires allemandes, et l’éducation confessionnelle dans les écoles catholiques ou protestantes doit « immuniser » les élèves contre les idéologies radicales.
La Loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne fondée en 1949 reporte finalement (de nouveau) sur les Länder les compétences juridiques et administratives dans le domaine de l’éducation et des écoles. Il faut attendre 1969 pour que la Fédération reçoive des compétences en matière de législation, à la suite d’une révision constitutionnelle. La Conférence permanente des ministres de l’Éducation et des Affaires culturelles des Länder (KMK), créée dès 1948, veille cependant déjà à restreindre les particularismes et l’hétérogénéité résultant de la fédéralisation de l’Allemagne. Son rôle est de régler les questions d’ordre général touchant tous les Länder (rentrée scolaire, désignation des types d’écoles) et de garantir l’équivalence des diplômes entre les différents Länder. Les décisions prises par la Conférence permanente n’ont toutefois pas force de loi, mais doivent être acceptées et ratifiées par les Länder.
La (re)fédéralisation répond aux exigences posées par les Alliés et paraît conséquente au regard des années de dictature nazie, mais elle favorise l’immobilisme du domaine de l’éducation. La scolarité en primaire n’est pas prolongée au-delà de quatre années (à l’exception de Berlin). L’accord passé en 1955 « entre les Länder de la République fédérale d’Allemagne pour l’uniformisation de l’enseignement scolaire » fixe finalement le système des trois types d’écoles, Volksschule, Mittelschule et Gymnasium. L’enseignement obligatoire compte toujours huit ans de scolarité dans certains Länder. Dix ans plus tard, la Convention de Hambourg se contente également d’apporter des changements mineurs : la Volksschule est remplacée par la Grund- und Hauptschule et la Mittelschule est rebaptisée Realschule.
Dans les Mittelschulen et les Gymnasien ouest-allemands, l’enseignement est dispensé séparément pour les garçons et les filles. Dans toutes les écoles, les contenus sont aussi en partie orientés en fonction des deux sexes. Des matières telles que les arts ménagers et les travaux d’aiguille préparent les jeunes filles à leur futur rôle social de femme au foyer et de mère de famille, et répondent aux objectifs de la politique familiale de l’époque. A la différence de la RDA, où l’on facilite aux enfants d’ouvriers l’accès à l’éducation, la RFA fixe des limites en fonction de l’appartenance au milieu social et au sexe. De facto, on ne peut pas parler d’égalité des chances d’accès à l’éducation. Tandis qu’en RDA les contenus d’enseignement sont orientés autour des théories marxistes-léninistes, les écoles ouest-allemandes des années 1950 mettent l’accent sur la culture occidentale chrétienne. Par le biais de valeurs comme la patrie, la famille, l’État et l’Église, les enseignants doivent transmettre aux jeunes le sens des traditions et un sentiment de sécurité. Il n’est pas prévu de faire un travail de mémoire sur le passé nazi.
La politique éducative de l’après-guerre renoue ainsi dans les deux Allemagnes, quoique de manière très différente, avec l’héritage de la République de Weimar. Alors que de profonds changements s’amorcent dans la zone d’occupation soviétique et plus tard en RDA, les zones d’occupation occidentales, puis la RFA, connaissent un rétablissement du système éducatif traditionnel.

Susanne Grindel
Traduction: Isabelle Quillévéré-Eberle
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