Les Etats-nations et la construction européenne

Commentaire

Sur la grande carte très colorée – qui occupe les trois quarts de la seconde double-page du chapitre – intitulée « les Etats-nations et la construction européenne » (p.186-187), les auteurs livrent au lecteur d’importantes informations de nature géopolitique sur les douze « Etats-nations » d’Europe de l’Ouest qui participent, en 1989, de la « construction européenne » : on trouve des indications sur les régimes politiques et les systèmes administratifs propres à chaque pays ainsi que le nombre de députés européens qui est dévolu à chacun. Par le jeu des couleurs pastels et la diversité des symboles choisis pour représenter les régimes politiques, les auteurs mettent l’accent sur la diversité des « cultures politiques » qui caractérise cette Europe des nations, diversité présentée, du reste, comme un « obstacle à l’unification politique » de l’Europe (Cf. Question p. 187), comme un frein à la construction d’une « Europe politique » (p. 184) alors que même se construit une Europe économique solide.

Cette diversité des « cultures politiques » est aussi, durant les années 1980, source de mésentente au sein de la CEE ; c’est ce qu’illustre avec humour une caricature allemande, datée de 1985, intitulée « L’Europe en panne » (p. 185) – reproduite en grand format sur la page de droite de la double-page d’entrée de Chapitre – où l’on voit les dirigeants des pays membres (dont Mitterrand, Kohl et Thatcher) se disputer violemment ; preuve que les dessinateurs allemands portent à cette époque le même regard ironique sur l’entente européenne.

Les « institutions » de la CEE sont également représentées sur la carte par des petits numéros dorés dessinés sur fond bleu couleur de l’Europe (p. 184-185). Au regard des auteurs, ces institutions se situent précisément au « centre de l’Europe », au « cœur de l’Europe politique » – entouré d’un trait bleu sur la carte – tout comme l’« axe » franco-allemand matérialisé en bleu, tel un pont reliant Paris à Bonn, reposant sur les deux « piliers de l’Europe » (Cf. Question n° 3 p. 187). A noter qu’une telle présentation du « centre de l’Europe » clairement dessiné, tout comme l’axe franco-allemand, est exceptionnelle si on compare avec les autres manuels de la même génération. Les auteurs insistent d’ailleurs puisque l’axe franco-allemand est à nouveau représenté – sous la forme d’une double-flèche dessinée en rouge bordeaux – sur une carte intitulée « l’Europe des six » (p. 195) ; de même, la « réconciliation franco-allemande » est-elle mise en évidence par un cadre sur un schéma illustrant « la construction européenne dans le contexte de la guerre froide » (p. 191). A de multiples reprises, les auteurs insistent donc sur la place centrale occupée par la France et l’Allemagne au sein de la CEE qui prend alors des allures d’Europe franco-allemande. Celle-ci renvoie dès lors les autres pays membres à la « périphérie », image qui amène à s’interroger sur l’équilibre des voix au sein de l’Europe unie.

Les auteurs reviennent à nouveau sur la « solidité du couple franco-allemand, moteur de la construction européenne », à travers une double-page spéciale (p. 200-201) consacrée à la pérennité de l’amitié franco-allemande, nourrie par la bonne entente des dirigeants successifs. Ce dossier spécial est notamment illustré par la célèbre photo de « Mitterrand et Kohl à Verdun en 1984 » - souvent présente dans les manuels de 2004 et de 2008 - qui symbolise la paix retrouvée en Europe, paix qui n’aurait pu s’installer définitivement sans le rapprochement franco-allemand (p. 201).

Enfin, particulièrement mise à l’honneur sur la carte, la France – en couleur jaune doré – apparaît visuellement au centre (géographique) de l’Europe de l’Ouest (p. 186-187). C’est presque une Europe française qui se dessine, analyse confirmée par la mise en valeur systématique, au fil du Chapitre, du rôle de la France et des Français dans la « construction européenne ». Ainsi, sur la page de gauche de la double-page qui ouvre le Chapitre, est reproduite en grand format la photo de Jean Monnet à l’occasion du « lancement de la CECA » en 1853 (p. 184). De même pour illustrer la signature de la CECA en 1951 (p. 203) les auteurs ont-ils sélectionné une photo sur laquelle apparaissaient au premier plan les Français Monnet et Schuman, présentés par ailleurs comme les « personnages-clés » des débuts de la construction européenne (p. 191). Pareillement, la photo du Parlement européen élu pour la première fois au suffrage universel en 1979, sur laquelle apparaît à la tribune la française Simone Veil, première présidente, contribue-t-elle à rappeler le rôle décisif joué par la France dans le processus de construction d’une Europe unie et démocratique.

Maguelone Nouvel-Kirschleger


Bibliographie:

Bitsch, Marie-Thérèse, Histoire de la construction européenne de 1945 à nos jours, Bruxellles : Éd. Complexe 2001.

Catala, Michel (dir,), Histoire de la construction européenne (cinquante ans après la déclaration Schuman), Actes du Colloque international de Nantes, 11, 12 et 13 mai 2000, Nantes : Ouest Editions 2001.
Du Reau, Elisabeth, L’Europe en construction. Le second vingtième siècle, Paris : Hachette 2007.

Id., La construction européenne au XXe siècle : Fondements, enjeux, défis, Nantes : Éditions du Temps 2007.

Leduc, Jean, Enseigner l’Europe ?, dans : Espaces Temps 66/67 (1998), p. 34-42.

Pingel, Falk, La maison européenne : représentations de l’Europe du 20e siècle dans les manuels d’histoire, Strasbourg : Éditions du Conseil de l’Europe 2000.